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La supplication de Svetlana Alexievith

Il y a des mystères…

Le bruit…celui d’’une explosion, celle du réacteur de la centrale de Tchernobyl, le 26 Avril 1986, à 1 heure 23 du matin…

Le choc…celui qui frappe de plein fouet la vie d’un couple d’amoureux, vie qui s’effondre, se détruit, se disloque. : « Je ne comprends pas… je ne sais pas comment j’ai pu revivre… je ne comprends pas comment j’ai pu rester en vie… »

C’est elle qui parle. Seule survivante d’un désastre qui ensevelit son époux défiguré, ensanglanté, moribond et puis mort pour de bon. Elle reste là debout auprès de cet homme qui la quitte. Elle témoigne et l’observe, en caressant ses lambeaux … « Tout se couvrait de sang, comme le bruit du lait tombant dans le seau pendant la traite de la vache. Je l’entends encore la nuit. »

L’amour fou d’une femme pour l’homme de sa vie devenu monstrueusement rongé par ce cancer nucléaire : « tous les jours, ça empirait. Le plus terrifiant, c’était qu’il n’y avait pas de mots… je l’ai vu devenir un monstre, son nez a bougé sur le côté pour devenir trois fois plus gros qu’avant… ses yeux aussi ont changé et l’un d’eux s’est fermé complètement… »

Témoignage d’une femme, incarné sur scène par un homme, Vincent Witz, qui, sous la houlette attentive et bienveillante de Danièle Klein, parvient à donner le change pour ne laisser transparaitre que l’essence du propos : comment l’amour fou d’une femme parvient-il à transcender l’horreur de l’apparence ?

Elle ne voit pas l’homme mutilé qui pourtant, lui réclame un miroir… reflet de leur amour enfui ou besoin malgré tout d’approcher une réalité tangible, sans artifice ?

« Pendant des années, nous vivions comme des amoureux, nous nous séparions puis nous retrouvions… Me concernant, il n’y a rien que je voudrais passer sous silence… J’avais 16 ans quand je l’ai rencontré et il en avait 7 de plus que moi… Nous n’allions pas au bal car il ne savait pas danser. Nous nous embrassions… ».

Baisers d’amours, baisers passion qui n’ont cure des plaies et des bosses, des pansements et autres compresses, des saignements constants et autres excroissances noirâtres.

L’amour charnel aussi, jusqu’à l’oubli du corps meurtri, pour ne garder que la trace indélébile de deux être fusionnels.

Daniele Klein a su admirablement indiquer à Vincent Witz les attitudes à adopter face à cette confession brulante. « Il faut que tu voies ce que tu joues avant de le jouer ». Il s’en empare avec une émotion palpable et une belle retenue, sans le moindre pathos. Performance d’acteur surprenante et indiscutable d’autant plus remarquable pour un comédien amateur dont on pourrait comprendre qu’il soit davantage en clin à manifester le dégout face à l’horreur qu’il décrit. A l’inverse, parfaitement immobile sur la chaise d’où quiconque d’autre que lui devrait jaillir d’effroi, il distille, suggère, suscite, expose et transmet les images indicibles dont ne transparaissent plus, bien loin de les montrer, que les traces pérennes d’un amour authentique et profond, au-delà de tout mime, encore moins de démonstration. La salle, devenant par son son biais complice, est elle aussi bouche bée.

« Quand il est mort, il était très chaud… J’ai arrêté l’horloge de la maison. Il était 7 heures du matin. Elle est restée ainsi jusqu’à ce jour… ».

Amour figé, certes, mais vivant…, pour l’éternité.


Véronique Blin

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